Depuis que tout a commencé, toujours la même idée en tête. Là dans un coin de mon esprit, qui fait son bout de chemin, qui me persécute un peu plus tous les jours… et si c’était mon frère ?

Et si c’était mon frère dont la photo était diffusée sur toutes les chaînes d’infos ?

Et si c’était mon frère, l’homme le plus recherché ?

Et si c’était mon frère qu’on appelle aujourd’hui le kamikaze  ?

Et si c’était mon frère ?

Cette idée me glace le sang. Depuis que tout a commencé, je scrute les écrans, les photos qui défilent, la boule au ventre.

Les profils que l’on donne de certains de ces assassins racontent l’histoire de jeunes hommes sans problème, sympathiques… En somme des mecs normaux quoi…! Certaines familles disent n’avoir rien vu, aucun signe clair de radicalisation. Alors je me questionne. Pourquoi des mecs sympathiques, des mecs normaux, arrivent au point de s’exploser dans leur pays, tuant leur propre frère en humanité ?

J’ai besoin de comprendre pour me rassurer sûrement car je ne veux pas que ce soit mon frère. Alors je reste vigilante, je guette, je reste sur le qui-vive… Publications Facebook, conversations. Et puis, je fais mon job de grande sœur, inquiète et soucieuse de leur avenir. Je les mets en garde contre certains discours qu’ils pourraient être amenés à entendre. Alors, ils me reprochent d’être à côté de la plaque, de ne pas avoir confiance en eux. Mais c’est plus fort que moi. Je continuerai à faire ma grande sœur inquiète et soucieuse et j’espère à côté de la plaque. Car je ne veux jamais être à la place de cette sœur, qui a vu un matin, la photo de son frère tournée en boucle sur les chaînes d’infos comme celle d’un kamikaze, et de son nom dans toutes les bouches comme celui de l’homme le plus recherché d’Europe. Cette sœur qui devra dire aujourd’hui : « C’était mon frère ».