Vous n’avez pas pu échapper à la polémique du moment concernant le voile. Et les marques telles que Dolce & Gabbana, Uniqlo et Marks & Spence qui se sont lancées dans la « modest fashion » avec leur ligne de vêtements pour femmes voilées. En tout cas si vous avez pu y échapper quelle chanceuse vous faites ! Parce que le niveau du débat et le concours dans la médiocrité des différents protagonistes sont affligeants. Tout ce lynchage médiatique de la femme musulmane vous aura sans nul doute dressé les cheveux sous votre voile !
Modest fashion islamique
Pour commencer parlons terminologie. Ce sont les pays anglo-saxons qui ont d’abord donné un nom à une tendance mode de ces dernières années pour les femmes portant le hijab tout en souhaitant rester élégantes : « modest fashion ». Les youtubeuses mode ou « hijabistas » ont largement contribué à cette nouvelle tendance. Se faisant l’écho de cette nouvelle génération de jeunes femmes voulant concilier leur vie de femme active avec leur foi.
L’expression « modest fashion » devient en France « mode islamique« . Ce qui révèle déjà l’image qu’on souhaite donner à cette tendance en remplaçant « modest » par « islamique ». Un mot aux connotations plutôt négatives dans l’imaginaire collectif.
Mme Rossignol est l’instigatrice de cette polémique dont on se serait bien passé en ces temps difficiles pour la communauté musulmane de France. Soutenue par la presque totalité de la classe politique, et notamment de notre cher Premier ministre qui répond toujours présent quand il s’agit de taper sur la communauté musulmane. La cible facile de ces dernières années, bouc-émissaire que l’on garde sous la main pour faire diversion, et faire oublier les échecs des différentes politiques.
La modest fashion une affaire d’état
Dans l’émission Bourdin direct sur BFM, en sa qualité de ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Mme Rossignol s’indigne au nom d’une vision étriquée du féminisme, de ces marques qui se font complices de l’asservissement des pauvres femmes musulmanes que nous sommes. Le journaliste lui fait remarquer qu’il y a des femmes qui portent le voile volontairement et par choix, ce à quoi elle répond :
« Il y a des femmes qui choisissent, il y avait aussi des nègres américains qui étaient pour l’esclavage. (…) Je crois que ces femmes sont pour beaucoup d’entre elles des militantes de l’islam politique. Je les affronte sur le plan des idées et je dénonce le projet de société qu’elles portent. Je crois qu’il peut y avoir des femmes qui portent un foulard par foi et qu’il y a des femmes qui veulent l’imposer à tout le monde parce qu’elles en font une règle publique »
Voilà le niveau du débat auquel nous sommes confrontés. On ne peut évidemment pas passer outre l’utilisation du terme « nègre » qui est juste abjecte. Et cette comparaison absurde avec des femmes qui exercent leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent. Tous les médias se sont arrêtés à cette « faute de langage », en s’accordant sur le fait qu’il s’agit d’une maladresse. Mais que dans le fond du message Mme Rossignol n’avait pas tort.
Manuel Valls affirme d’ailleurs : « Le voile est la revendication d’un signe politique qui vient confronter la société française ». Il dit également que les femmes qui se voilent, militent contre la République. Et que le voile est bien-entendu un signe « d’asservissement de la femme« .
De soumise à militante
Aujourd’hui, on a clairement passé un cap dans la représentation de la femme musulmane dans l’imaginaire français. Jusque-là nous étions les victimes soumises d’une culture patriarcale et d’une pression sociale qui nous obligerait à nous voiler. Maintenant, nous ne sommes plus les victimes, mais clairement des actrices. Des militantes qui auraient le projet d’imposer le voile aux autres femmes ! Une accusation gratuite sans fondement lancée à la face du monde sans que personne ne la relève.
Nous sommes donc en droit de s’interroger sur le but de tous ces propos insultants et diffamants. Pourquoi s’attaquer aussi violemment à la femme voilée ? C’est complètement irresponsable et dangereux de véhiculer de telles idées erronées. D’autant plus quand on sait qu’aujourd’hui, selon le CCIF, la femme voilée est la première victime des agressions physiques racistes. Et quand on voit la campagne de communication contre le racisme : « l’islamophobie commence par des mots » ça fait doucement rire. Parce que Mme Rossignol et Manuel Valls ont eux aussi commencé par les mots. En tenant un tel discours, ils nous ont tout simplement mis une cible dans le dos.
Atteinte aux droits fondamentaux
Les femmes françaises musulmanes n’ont pas attendu Mme Rossignol pour s’émanciper ! Vouloir imposer un modèle unique d’émancipation est une atteinte à la liberté ! Notons également l’ironie de l’appellation de son ministère « des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes ». Inscrire les droits des femmes dans le même ministère que celui de la famille et de l’enfance est une vision assez réduite de la position de la femme dans la société. Ironique, quand on sait que c’est au nom de l’émancipation de la femme que Mme Rossignol diffame la femme musulmane.
Et ce n’est pas la seule incohérence. Elisabeth Badinter s’en est mêlé également et a appelé au boycott de ces marques « qui enferment le corps des femmes« . On a du mal à la prendre au sérieux quand on sait qu’elle a signé un contrat lui donnant charge d’une partie de la comm’ de l’Arabie Saoudite pour redorer son image en France.
Mis à part les hypocrisies des uns et des autres, on constate surtout une méconnaissance flagrante du terrain. Et une confusion alarmante entre ce qui se passe dans les pays du golf et la France. Ici, la femme musulmane n’est pas voilée de force. Ici, elle exerce sa liberté de pratiquer sa religion. Aussi, on entend sans cesse parler de femme voilée contre leur gré, de la pression culturelle dans les quartiers. J’ai grandi dans un quartier, je n’ai jamais subi aucune pression pour porter le voile. Et je n’ai jamais vu aucune femme ou fille être voilée de force ! Cependant, il est important de ne pas nier l’existence de femmes et filles contraintes à porter le voile. Se positionner clairement contre cette tendance est une chose, seulement elles sont très minoritaires. Or à entendre les discours des politiques, ce serait la grande majorité.
Accepter la réalité
Porter le voile n’est pas un signe d’engagement politique. C’est un choix personnel et libre d’exercer sa foi. C’est le désir d’être à la hauteur d’un idéal éthique. Et les femmes devraient être libres de pouvoir faire ce choix, tout comme celles qui ne souhaitent pas le porter ou encore celles qui l’ont porté ou ont souhaité l’enlever. Chacune est libre de faire son choix en accord avec ses valeurs, avec son cheminement spirituel personnel. Aucune n’a à subir le jugement de qui que ce soit concernant ses choix, et la liberté de disposer de son corps comme elle l’entend ! L’État n’a rien à faire dans cette sphère, si ce n’est d’être le garant de cette liberté. Or on en est très loin !
D’ailleurs toute cette polémique et cette façon de vouloir imposer une seule vision considérée comme valable, de la liberté et l’émancipation n’est pas sans rappeler une certaine approche colonialiste : Parler au nom de l’autre, parce qu’on sait mieux. On parle à la place des premières concernées, et leurs avis finalement sans intérêt.
Encore une fois la femme musulmane se voit être mise au-devant de la scène médiatique malgré elle. Elle se voit être insultée, son intégrité et sa dignité sont remis en cause en ne laissant aucune place à la plus infime possibilité qu’elle sache faire ses choix en toute intelligence et liberté.